L'histoire que je vais vous raconter est immortelle. Elle a voyagé à travers les temps, survécu à ses auteurs pourtant morts depuis plusieurs siècles. Cette histoire, c'est celle d'Eithne, jeune fille Celte d'environ 12 ans. Avant que tout ne commence, elle était en fosterage chez son oncle et sa tante. Elle y apprenait la vie ainsi que ses 4 frères, comme il était de coutume chez ce peuple. Son père était un agriculteur, lui aussi fort occupé à éduquer les enfants des autres quand il n‘était pas aux champs. Quant à sa mère, elle avait quitté cette terre voilà quelques années. Eithne n’avait alors que 8 ans mais elle n’avait pas pleuré. Elle savait que les âmes des défunts s’envolaient vers un autre monde et que sa mère avait entrepris le voyage. Ils l’avaient alors enterrée avec son torque, quelques bibelots et la promesse de se revoir dans l’Autre Monde. Voilà comment était cette jeune fille. Simple et modeste, pleine de vie, de gaieté et d’espoir.
Puis, par un beau matin d’automne, son oncle l’envoya dans la forêt pour faire des provisions de bois en prévision de l’hiver. Eithne s’en alla donc par le chemin qui menait à la rivière. Elle adorait joindre l’utile à l’agréable et chaque fois qu’elle était de corvée de bois, elle s’arrangeait pour flâner en chemin. Ce jour là, elle prévoyait de ramasser quelques fleurs afin de les offrir à sa tante en remerciement pour le temps qu’elle passait à s’occuper de ses frères et d’elle-même et le chemin qui menait à la rivière en était justement rempli ! Comme il était bon de marcher en cet endroit ! On entendait les oiseaux, les cailloux crissaient à chaque pas et l’herbe se froissait au contact du vent. Au rythme de ses rêveries, elle arriva dans une clairière verdoyante parsemée de fleurs multicolores. Eithne entreprit un joli bouquet arc en ciel. Comme cette petite violette se marierait bien avec cette marguerite ! Voilà la composition florale commencée par ces deux simples fleurs. Tout en cueillant, elle continuait à avancer pour ne prendre aucun retard dans sa tâche. De temps en temps, entre deux fleurs, elle ramassait une belle bûche pour l’enfouir dans son sac de toile qui devenait de plus en plus lourd. Elle marcha ainsi jusqu’à la rivière. Au moment où elle allait faire demi-tour, elle aperçut tout un tapis de fleurs majestueuses qui faisait ombre à son bouquet. Ces merveilles feraient très plaisir à sa tante, pensa-t-elle alors. Mais il lui fallait traverser ! Que cela ne tienne, elle connaissait un moyen ! Après un violent orage, dans la saison précédente, le vent avait déraciné un arbre centenaire qui s’était étalé sur toute la largeur de la rivière, faisant un pont naturel. Eithne s’y rendit en courant. Elle sentait déjà le contact des merveilleuses fleurs dans sa main ! Elle grimpa sur le tronc et commença la traversée de la rivière à pas prudents, bras écartés pour contrebalancer. Elle était parvenue à mi chemin quand, surgi de nulle part, quelque chose de volant frôla la jeune fille si rapidement qu’elle ne vit pas ce que c’était. La créature revint et se posta à un mètre d’Eithne, en vol stationnaire, ce qui lui laissa le loisir d’observer cette étrange apparition. Cette chose ressemblait à s’y méprendre à un être humain mais minuscule et pourvu d’ailes. Elle - car c’était une femme - était entourée d’une sorte d’aura lumineuse qui procurait à qui l’observait une sensation de bonheur et de bien être intense. Eithne reconnut une fée, de ce peuple qui hantait les légendes Celtes et que si peu avaient pu approcher. La jeune fille tendit la main, tentant de toucher la créature ailée. Celle-ci se recula tandis qu’Eithne se rapprochait d’avantage, oubliant dangereusement qu’elle se trouvait sur un tronc d’arbre au milieu de la rivière. Et ce qui devait arriver arriva, elle tomba à l’eau.
Les flots en furie la secouèrent de toute part. Eithne se débattait pour atteindre la surface, mais la violence du courant et le poids de son sac de toile plein de bois l’entraînait vers le fond. Plus elle se débattait, plus elle se sentait étouffer, l’air venant à manquer dans ses poumons. Elle allait se laisser mourir lorsqu’une force coupa les lanières du sac de toile et la ramena à la surface. Eithne ouvrit les yeux, assommée par son long séjour sous l’eau. La rivière l’emportait toujours mais la force qui l’avait sauvée était toujours là, lui maintenant la tête hors de l’eau. La jeune fille leva les yeux est aperçut la même petite fée qu’elle avait essayé d’attraper la maintenant par magie. Elle tenta de lui dire merci mais ne réussit qu’à émettre un faible gémissement. Puis, aussi rapidement qu’elle était arrivée, la fée s’évanouit dans la nature, abandonnant Eithne à son sort. Affaiblie et prise au dépourvu, le jeune fille coula à nouveau. Mais sans le poids du sac, il lui fut un peu plus facile de se maintenir à la surface. Cependant, elle était plus souvent sous l’eau qu’à l’air libre, ce qui ne lui permettait pas aisément de remplir ses poumons. Elle allait à nouveau sombrer lorsqu’un objet lourd lui cogna la tête. Instinctivement, elle s’y accrocha et remonta à la surface. C’était un large tronc d’arbre creux aux allures de barque naturelle auquel elle s’accrochait désespérément. Rassemblant ses dernières forces, elle se propulsa dans son embarcation de fortune. Eithne s’écroula, épuisée, au fond du tronc. Frissonnante, elle respira un grand coup, tâchant de retrouver ses esprits. Elle ne se sentait pas sauvée pour autant car elle savait fort bien où menait cette rivière. C’était une monumentale cascade qui l’attendait au bout du chemin, hérissée de rochers tranchants. La jeune fille s’apprêtait donc à mourir, seule dans son tronc. Elle pensa à sa mère qu’elle allait bientôt rejoindre. Les portes du royaume des morts lui seraient ouvertes au bout de cette rivière. Malgré sa mort prochaine, la jeune fille n’avait pas peur. Elle pensait juste à son oncle et sa tante qui se feraient du soucis et qui n’auraient pas de bois. Elle pensait à ses frères qui lui manqueraient quand elle serait dans cet ailleurs, où ils finiraient par la rejoindre mais bien plus tard. Les chutes se rapprochaient, trop tard pour tenter quoi que ce soit. Elle inspira un grand coup et sa barque franchit le point de non retour.
Eithne ferma les yeux, s’attendant à se sentir chuter à chaque secondes. Au lieu de cela, elle eut plutôt l’impression que le tronc avait arrêté sa course, bien que le bruit de l’eau dévalant le précipice fut toujours fortement perceptible. Elle ouvrit les yeux, s’attendant à être bloquée par des racines salvatrices, mais la réalité était bien plus étonnante. Elle dérivait à présent sur une rivière aux eaux paisibles, entourée d’un épais brouillard. Sur les rives, elle distinguait à peine la forme des arbres. La lumière du soleil, étouffée par ce lourd nuage, diffusait une lumière bleuâtre, mystique. Derrière elle, le pied de la cascade qu’elle aurait dû dévaler continuait de cracher ses amas d’eau bruyamment. C’est alors qu’Eithne aperçut des barques formant des ombres chinoises dans le brouillard. Malgré le courant contraire, elles remontaient vers la jeune fille, lentement et sans aucun bruit. Les premières embarcations passèrent près d’Eithne, remplies de personnes aux visages fermés, qui ne lui adressèrent pas même un coup d’œil. Elles étaient figés telles des statues de pierre. En regardant devant elle, la jeune fille vit un unique point lumineux s’approcher parmi les embarcations. Cette lumière d’un jaune rassurant provenait d’une lanterne ronde accrochée au bout d’un mât. La barque qu’elle guidait dérivait toujours vers Eithne, lentement, au rythme des autres embarcations plongées dans la pénombre. Puis la coque du petit bateau cogna contre le tronc de la jeune fille et il s’arrêta. Un silence encore plus pesant s’installa, puis une voix cristalline et légère, amplifiée par un écho mystique, s’exprima :
- Eithne, tu es entrée dans le monde des morts. Vois tu toutes ces âmes qui viennent à ta rencontre ?
Eithne se figea.
- Suis-je morte ?
Une forme vague bougea dans l’embarcation.
- Tu es entrée dans le monde des morts en tant que vivante. Nous t’avons appelée…
- Mais pourquoi ?
- Tu dois prévenir ton peuple d’une menace et d‘un événement important. Un objet a été égaré dans ton monde, empêchant la porte entre nos deux mondes de se refermer. Les voyages spirituels s’effectuent désormais dans les deux sens, ce qui n’est pas naturel.
- Les morts reviennent chez les vivants ?
- Oui, c’est cela. Mais toutes les âmes ne sont pas bienveillantes ! Il a des démons parmi nous, qui n’auront qu’une envie, tuer ton peuple et les emmener dans notre monde prématurément. Ce n’est pas ce que la nature avait prévu.
- Que dois je faire ?
- Préviens ton peuple qu’ils devront instaurer une tradition pour se préserver. Grâce aux pouvoirs de ce monde, nous parviendrons à maintenir les portes fermées mais une fois l’an, elles s’ouvriront pour laisser passer les esprits. Dis à ton peuple de célébrer durant les 3 prochains jours la fin de l’année, celle qui commence et d’honorer les défunts, et cela chaque année à la même époque. Déguisez vous pour empêcher les esprits malins de vous emporter et placez des lanternes sur vos fenêtres pour guider les bonnes âmes. Car toutes reviendront pour la réunion des deux mondes.
Eithne hocha la tête en guise de réponse.
- Quel est cet objet ? Peut être puis je vous aider à le retrouver ?
La forme se figea.
-Ta générosité t’honore Eithne mais ce n’est pas ton destin de retrouver cet objet égaré. Ton but reste de prévenir ton peuple. Maintenant, va !
Le bateau repartit, lentement, dans la direction opposée.
- Attendez ! Comment puis je vous contacter ?
- Le monde des esprits est accessible aux vivants au fil des voyages sur l’eau. Garde ton cœur pur, Eithne, pour toujours …
La jeune fille sursauta. Cette dernière phrase … Non, ce n’était pas possible …
« Garde ton cœur pur, pour toujours … », une phrase que sa mère lui disait souvent, la dernière phrase qu’elle prononça à son intension sur son lit de mort. Cette entité…
Eithne se redressa brusquement, manquant de faire chavirer le tronc.
- Mère ???
Dans la barque qui continuait à avancer, la lumière augmenta. L’entité se retourna et pour la première fois depuis l’entretien, Eithne découvrit son visage. Un visage rayonnant de bonté, au sourire plein de grâce et de paix. La jeune fille, émue, reconnut sa mère en cette apparition.
- Mère ! Ne me laissez pas encore, revenez !
Sans cesser de sourire, l’entité se détourna et la lumière disparut subitement.
Eithne se retrouva alors sur la rive de la rivière, toujours dans son tronc. La forte luminosité du soleil lui fit mal aux yeux. Elle observa les alentours, inédite. Comment avait elle fait pour passer de la rivière du monde des morts à la rivière des vivants en un clignement de paupière, sans même s’en rendre compte ?
Elle sauta hors de sa barque naturelle et s’engouffra dans la forêt. Elle courut aussi vite que ses jambes fatiguées le lui permettaient, des milliards de questions lui traversant la tête.
L’oncle d’Eithne fut bien intrigué et contrarié de voir arriver sa nièce trempée, sale et sans bois pour la réserve. Il s’apprêtait à la rouspéter lorsqu’elle se planta devant lui, essoufflée, les mains sur les genoux, mais elle prit la parole :
- Mon oncle, il est arrivé quelque chose d’incroyable ! Je suis entrée dans le monde des morts et je suis leur messagère. Il faut réunir les anciens pour un conseil, j’ai beaucoup de choses à dire.
C’est dans une clairière au cœur de la forêt qu’Eithne livra son étrange récit. Personne ne remit sa parole en doute et ainsi fut décidée l’instauration de la fête de Samain dans le calendrier Celte.
Le temps a bien passé depuis ce jour où Eithne entra dans l’Autre Monde, le monde des Dieux, des Morts et de toutes les créatures magiques. La tradition perdura mais jamais ne fut retrouvé le fameux objet inconnu qui maintenait le passage spirituel ouvert 3 jours dans l’année. De nos jours, ce passage existe toujours, peut être aurez vous l’occasion de l’emprunter au fil de vos voyages sur l’eau ! La fête de Samain est encore présente dans notre culture, bien que largement modifiée. Seulement, nous préférons l’appeler Halloween désormais…
Juste un truc qui m'ennuye...
"le poids de son sac de toile plein de bois l’entraînait vers le fond"
ça, je dois dire, ça m'a bien fait rire. Une erreur d'inattention ? Car il me semble bien que le bois, ça flotte...
Et aussi, l'adjectif "inédit" attribué à Eithne... j'ai pas compris le sens.
Mais c'est chouette, de savoir d'où vient Halloween :) Merci.