Il y a fort fort longtemps, dans un royaume fort fort lointain, Elyonis, et inconnu des hommes tels que nous sommes, vivait une jeune princesse âgée de dix ans. Sa peau halée se mêlait avec sa longue chevelure caramel et contrastait avec ses grands yeux verts qui débordaient d’insouciance et de joie de vivre. Elle se prénommait Eloïne et elle représentait un avenir radieux pour ce royaume. Têtue et malicieuse elle passait ses journées à gambader dans les bois, sous la surveillance toutefois d’un adulte, ou d’un membre de la famille plus âgé et plus responsable. Elle se débrouillait avec audace pour les semer et retrouver ainsi une totale liberté. Sauf avec l’un deux, un seul. Il s’agissait de son cousin, Cyprian, âgé de dix-huit ans bien que sa musculature lui rajoutait au moins trois ou quatre ans. Il éclatait d’une beauté renversante et d’un charme inégalable avec ses boucles brunes et ses iris émeraude. Son cœur généreux et loyal attirait une grande partie des demoiselles du village mais il les repoussait gentiment, ne désirant s’unir avec aucune d’entre elle. Eloïne, malgré la grande différence d’âge et son lien de parenté, en était éperdument amoureuse. Lui seul savait la divertir et la convaincre comme personne, et il ne bronchait jamais à l’idée de passer du temps en sa compagnie, participant à ses jeux et la défiant à quelques courses de chevaux.
Ce jour-ci il l’accompagnait à l’une de ses grandes excursions. Le soleil dardait ses plus beaux rayons sur la forêt, traversant les branches entremêlées pour venir frôler avec douceur le visage de la princesse et de son cousin. Lui marchait tranquillement, effleurant du bout des doigts l’écorce râpeuse des grands arbres. Il regardait avec tendresse l’enfant qui sautillait à ses côtés entamant une mélodie enjouée. Celle-ci lui prit la main, lui souriant de ses petites dents blanches. Cyprian lui rendit un même sourire éclatant et chahuta avec elle un instant avant de lui déclarer de sa voix de velours :
« -Tu sais Eloïne, l’autre jour j’ai entendu un troubadour réciter un poème qui te convient à merveille ! Je lui ai demandé que ce poème te soit exclusif, il accepté et l’a intituléLa Lumière d’Elyonis.
Il la décoiffa d’un geste amical devant la perplexité d’Eloïne.
-Pourquoi ? Questionna-t-elle
-Il suffit de l’entendre pour comprendre que toi seule peut l’incarner !
-Quel est-il ?
-Je ne saurais le conter aussi bien que lui mais je vais m’appliquer pour ton bon plaisir ô mini-altesse ! hum hum…
Lorsque, pour la première fois, tu nous dévoilas la rangée de tes petites dents
Offrant ainsi un sourire éclatant,
Le royaume entier de mille feux fut paré
Semblable à l’éclat de tes yeux chocolatés.
Et à chaque fois que tu étires tes lèvres rosées
On fête la naissance d’une nouvelle fée.
C’est ainsi qu’à jamais tu demeureras la lumière de mon cœur chantant
Et incarneras l’espoir d’un monde magique et vivant…
Eloïne regarda en silence son cousin. Jamais elle n’avait entendu de chant aussi beau. Une chaleur apaisante remplie son cœur et une envie de sauter au cou de Cyprian la prit soudainement. Mais sous l’émotion elle ne put faire qu’un sourire timide et demander à demi-voix :
-C’est vrai ?
-Bien sûr ! s’exclama le jeune homme. Ton sourire nous illumine tous !
La princesse rougit puis, prit la main de son partenaire et le fixa de ses yeux pétillants :
-Alors je sourirais toute ma vie, pour que chaque personne ait en elle une lumière aussi vive que celle que tu m’apportes et pour que les fées à jamais restent parmi nous !
Cyprian rit et posa un de ses douces lèvres un baiser chaste sur le front de l’enfant. Il chuchota :
-Toute ta vie ?
-Toute ma vie !
-Quoi qu’il advienne ?
-Je te le promets !
Un frappement tira la jeune princesse de ses rêves. Elle entrouvrit un œil, et vit une pluie diluvienne tomber à travers la fenêtre. Grognant elle se glissa sous sa couette. On cogna de nouveau à la porte :
-Princesse ! Princesse votre père vous fait demander !
La jeune fille grogna de re-chef, mais se leva tout de même. Il était rare qu’on la quémande à une heure si matinale. Il devait se passer quelque chose d’important.
-J’arrive ! cria-t-elle.
Prenant une douche rapide et s’habillant de l’une de ses robes préférées, en cas de visite, elle se contempla dans le miroir. Les années s’étaient déroulées dans une douce quiétude à Elyonis, et l’héritière du trône avait gagné en âge et en beauté. A présent âgée de quatorze ans, des formes apparaissaient, sa taille s’élançait de mois en mois, la transformant en une belle femme. Eloïne tressa sa longue chevelure et posa sur le dessus de son crâne sa couronne d’argent. Peut-être était-ce une visite d’un proche ou bien Cyprian qui revenait de sa partie de chasse et qui voulait l’emmener en ballade. Non. Ni l’un ni l’autre ne l’aurait réveillé pour cela. Elle arriva enfin dans la grande salle. Son père siégeait sur le trône, le regard éteint et les yeux embués de larmes. La jeune fille se figea, un sentiment de peur s’installa en elle.
-Père…
-Ah ma chère Eloïne…approche ! Gémit le roi.
Venant se poster devant lui elle le fixa avec crainte, jamais elle ne l’avait vu pleurer !
-Père que se passe-t-il ? Qu’avez-vous ?
-Je…il s’agit de Cyprian ma douce enfant.
Tous les membres de l’héritière se raidirent. La voix de son père tremblait :
-Au cours de sa partie de chasse…il…le gibier…un sanglier l’a chargé au bord d’une falaise…
Eloïne resta muette. Une question lui brûlait les lèvres, et pourtant elle ne pouvait se résoudre à la poser. Devant le regard tragique que son père lui destinait elle ne put que pousser un grand cri de désespoir, comprenant la réponse à sa question :
-Noooon !
Le roi ferma les yeux et hocha la tête gravement :
-Si…
Il sembla à la princesse que la Terre s’écroulait autours d’elle. Un gouffre béant se présentait à elle. Elle y plongea sans hésiter.
Les valets se précipitèrent, avec le roi, pour rattraper la jeune fille. Son corps s’échoua au creux de leurs bras, inerte et léger comme une plume.
Lorsqu’elle rouvrit les yeux tout lui semblait faux, on l’avait étendu sur son lit et bordée. Des suivantes se succédaient, prenant soin d’elle, mais c’était le roi qui était le plus souvent à son chevet.
-Eloïne…Eloïne ma chérie…reviens à nous je t’en supplie !
Mais elle ne l’écoutait pas. Un simple bourdonnement lui venait aux oreilles. Des larmes salées coulaient inlassablement sur son visage défait par le chagrin.
Les semaines, puis les mois, passèrent et Eloïne resta dans cette transe, muette, immobile et le regard vide. Tous les médecins et shamans du royaume s’étaient précipités à son secours. En vain. Depuis le jour de l’annonce de la mort de Cyprian on n’avait plus vu une seule étoile. Le ciel demeurait d’un noir de jais, même la lune ne se distinguait plus de la toile sombre. Les journées semblaient ternes et plus aucun éclat de vie ne pétillait dans les chaumières. La lumière d’Elyonis s’était éteinte.
Au bout de six mois on réussit à la faire bouger de son lit et l’on réussit à la promener dans le parc. Elle reprenait appétit et mangeait, mais aucun son ne sortait encore de sa bouche.
Six autres mois passèrent et Eloïne se remit à voir, elle percevait à présent la vie autours d’elle et était devenue capable de se déplacer seule. Son père la surveillait de près, cherchant un moyen de lui redonner parole et joie de vivre. Tous savaient que tant que la princesse n’aura pas retrouvé son véritable sourire, et sa vie, les nuits et jours resteraient aussi sombres que la mort. On espérait pourtant une guérison.
Une année passa de nouveau sans aucun changement. La population perdait foi, à de nombreuses occasions Eloïne avait refait des chutes, sombrant dans son mutisme.
Un jour, alors qu’on l’avait posé sur un banc, celle-ci étant de nouveau retombée au stade primaire, un jeune troubadour la vit. En voyage, il n’avait guère eu vent des évènements. Il savait juste qu’une princesse se mourrait à petite feu. Ne pensant pas qu’il puisse s’agir d’elle il l’accosta :
-Bien le bonjour gente damoiselle. Permettez que je vous tienne compagnie ?
Eloïne le regarda sans le voir. Devant cette non-réponse il parut décontenancé.
-Hum…je…Quel est votre nom ?
Elle se contenta de la fixer de ses yeux vides.
-Oh…vous êtes muette c’est cela ?
Il n’eut pas plus de réponses qu’aux autres questions. C’est à cet instant qu’il comprit que cette jeune fille n’était autre que la fameuse princesse.
Il revint chaque jour, lui parlant de tout et de rien, tentant de la divertir. A la grande surprise de tous cela fonctionna. Un bel après-midi pour la première fois la jeune fille vit réellement le jeune homme qui la côtoyait depuis quatre mois. Grand, musclé, à peu près de son âge, de fines boucles cuivrées tombaient gracieusement sur son visage aux grands yeux bleus-verts. Vêtu d’une chemise blanche, entrouverte sur son torse, et d’un pantalon ample noir, la jeune fille le trouva fort séduisant. Le soir même elle regarda son reflet dans le miroir. Depuis la dernière fois elle avait changé. Son corps disposait d’une poitrine ronde et à présent formée, et d’une taille gracile. Sa chevelure caramel lui tombait gracieusement au milieu du dos et son visage d’enfant avait fait place au visage fin de jeune fille. Les mois s’écoulèrent et l’héritière passait ses journées avec le jeune troubadour, Loris, à faire de longues excursions à cheval, ou à discuter paisiblement dans un coin du parc. En effet la parole lui était revenue progressivement et tous écoutaient avec soulagement et émerveillement sa voix de clochette.
Lors d’une ballade en soirée, alors que Loris bataillait avec entrain un sujet de discussion avec Eloïne, il soupira et s’exclama :
-Ma parole tu es la fille la plus têtue que j’ai jamais rencontrée !
A sa grande surprise la jeune fille lui répondit par un sourire timide avant de lui tirer la langue. Il se figea. Jamais il ne l’avait vu sourire ! Devant le regard interrogateur de la princesse il s’expliqua en rougissant :
-Ton sourire. Je…Quand tu souris c’est comme si tu illuminais tout le royaume…comme si soudain ce monde terne reprenait des couleurs !
Ce fut au tour d’Eloïne de se figer. Ses yeux se perdirent dans le ciel rosé.
-Toute ta vie ?
-Toute ma vie !
-Quoi qu’il advienne ?
-Je te le promets !
La voix d’enfant se perdit dans la douleur qui tiraillait l’esprit de la jeune fille. Des larmes jaillirent et coulèrent abondamment sur son visage.
-Eloïne ? fit la voix inquiète de Loris.
La jeune fille leva la tête vers lui et lui offrit son plus beau sourire.
C’est alors que pour la première fois depuis deux ans le ciel retrouva ses étoiles. La lune ronde illumina la toile au dégradé de rose et d’orange, formant un tableau magnifique.
Eloïne, elle, éclata d’un grand rire et l’on entendit mille clochettes retentir dans le royaume entier en une promesse :
-Je te le promets !
La princesse prit le jeune homme par la main et l’entraina avec elle en riant :
-J’ai un secret à te raconter ? Veux-tu l’entendre ? C’est mon histoire…ma promesse…
A partir de ce soir là plus aucune nuit ne fut noire et le royaume retrouva ses couleurs et sa joie de vivre. La lumière d’Elyonis venait de renaitre de ces cendres, tel le phœnix, et elle étincelait de nouveau en une promesse, pour toujours et quoi qu’il advienne, tandis qu’à travers les étoiles une voix de velours murmurait un chant :
Lorsque, pour la première fois, tu nous dévoilas la rangée de tes petites dents
Offrant ainsi un sourire éclatant,
Le royaume entier de mille feux fut paré
Semblable à l’éclat de tes yeux chocolatés.
Et à chaque fois que tu étires tes lèvres rosées
On fête la naissance d’une nouvelle fée.
C’est ainsi qu’à jamais tu demeureras la lumière de mon cœur chantant
Et incarneras l’espoir d’un monde magique et vivant…
Mmh, bien que tiraillé entre celui-ci et L'homme qui regardait le ciel, je crois que j'ai choisi.
Donc, +1 pour ce conte.
... car il correspond plus à l'idée que je me faisais d'un conte.
Choix difficile, car l'autre est quand même magnifique et plus original. Mais bon voila...
Voila voila.
:)